Le capital mémoire

Dans une interview récente*, Jean-Noël Kapferer réagissait au postulat de son interlocuteur : « tout est marque aujourd’hui ».
Selon cet historique expert en marques, ces dernières ont endossé un rôle nouveau, celui d’agrégateur. Agrégateur de fantasmes, de promesses et de gens.
Il constate que la disparition de la philosophie et de la théologie comme repères a laissé place aux marques.
Les marques se sont alors engagées dans des combats plus larges que la « promesse produit », des combats ou des « croisades » pour reprendre le vocable du journaliste. On notera à nouveau l’emploi de termes associés au religieux.

A priori, de nombreux exemples illustrent le postulat de cette « extension du domaine de la marque »*.
A priori historiquement cantonnée aux produits de consommation courante, telle la lessive ou le café, la marque aurait étendu son emprise à d’autres secteurs ou activités, jusque là épargnés.
6a00d83451db4269e201157025a73f970b-800wiDésormais, on parle de marques pour les territoires (pays, villes…) les musées ou les personnes (David Beckham pour citer un exemple revendiqué comme tel, assumé et décomplexé).

Si j’adhère à l’analyse de l’extension du rôle (et non du domaine) des marques, je crois nécessaire d’apporter une précision fondamentale.
Paris était une marque bien avant d’être reconnue comme telle et classée parmi les marques-villes du monde, première d’ailleurs, par l’institut Anholt-GFK.
De même pour Le Louvre  qui était une marque avant qu’on ne lui attribue cette caractéristique.
Le soi-disant phénomène du « tout marque » révèle donc plutôt une prise de conscience de ce qu’est réellement une marque, c’est-à-dire, avant tout, une empreinte dans la mémoire (mental box selon George Lewi).

Avant d’être une marque de commerce, la marque est une marque dans la mémoire.
« Tout » peut marquer : un homme (Obama), une femme (Paris Hilton), un fruit (Pink Lady ou Garriguette), un territoire (Deauville), une pâte à tartiner (Nutella ou Pastador) etc…
Cette impression que tout devient marque a été renforcée par la marchandisation du monde et donc la prise de conscience que les marques, quelles qu’elles soient, ont un potentiel commercial (exemple les Musées).
Tate est une marque de musées, déclinée en différentes « marques-filles » : Modern, Britain, Liverpool… c’est un constat qui ne signifie en rien que le musée est conçu ou géré comme un produit de grande consommation !

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Les territoires ont aussi découvert qu’ils disposaient d’un capital de marque à fort potentiel économique.
Potentiel primordial dans un monde hyperconcurrencé dans lequel le trait identitaire, donc la différence, est devenu l’objet de convoitises.

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L’hyperconcurrence et son chaos médiatique caractérisé par un même mouvement hyerbolique, ont engendré un besoin, vital, d’être identifié, si possible durablement. Donc d’être dans la mémoire du plus grand nombre.

Objet de convoitises, plus précieux que l’or, le safran ou l’uranium : LA MEMOIRE !

 

*Interview Darketing, ISEG.
*Tableau de Salvador Dali : La désintégration de la persistance de la mémoire
*Le titre détourne sciemment celui d’un roman de Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, dans lequel l’auteur identifie une expression du capitalisme triomphant dans les relations sexuelles contemporaines des humains. Je vois donc dans le titre de cet article plus qu’un jeu de mots. Nous y reviendrons.

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