Crise d’anonyphobie*

Il est devenu préférable d’afficher un trait identitaire, fût-il l’expression d’un défaut, que d’être anonyme !
Pire que le défaut, l’absence de différence visible.
S’ensuit donc une recherche effrénée et généralisée du signe ostentatoire, à tout prix (émissions de téléréalité…).

Sarah_Bernhardt_in_coffinEvidemment, le besoin d’afficher ces signes de différences n’est pas récent. Les stars nous ont habitués à cultiver savamment des traits marquants : Sarah Bernhardt, pour laquelle Cocteau inventa l’expression de « monstre sacré », dormait dans un cercueil bien avant que Lady gaga ne défile dans une robe confectionnée avec de la viande.

Je crois néanmoins que le phénomène s’est très largement amplifié. Au point que même un défaut est préférable à l’absence de trait identitaire.

Le méchant des films dispose d’une personnalité séduisante, au même titre que le héros avec lequel il se confond (James Bond, Skyfall) et s’impose comme plus intéressant que la masse des anonymes, en général supprimés sans considération, victimes des dommages collatéraux de l’affrontement des titans . Evaporés comme l’écrivait George Orwell dans son roman 1984.
joker-1
Voire, le méchant extraverti supplante le fade héros comme dans Batman The Dark knight.

 

Comme pour les marques commerciales, des signes visibles doivent cristalliser les traits de cet ego : un nom pas commun (Zahia, Zlatan) ou un nom customisé (NKM, DSK, MAM), une caractéristique physique (la bouche de Mick Jagger), une phrase culte (non mais allô), un attribut vestimentaire (le changement de lunettes de Eva Joly)…
Dans la Nouvelle Star, les candidats se font éliminer au reproche qu’ils manquent de personnalité. Alors, on se dessine des moustaches (Luce). Bien chanter ne suffit pas.

La caricature, donc l’exagération d’un trait saillant de la personnalité, a toujours été un ressort de l’humour et de la publicité.
Néanmoins, il me semble que l’on assiste aujourd’hui à une caricaturisation de la caricature.
Emblématique, les humoristes et imitateurs qui enfoncent toujours le même clou : Ribery analphabète, Johnny inculte, DSK obsédé…

L’obsession de la différence ostentatoire est sans doute motivée par :

– L’impression d’une perte d’identité dans un monde globalisé. Une perte de repères traditionnels qui donnaient un matériau identitaire à chacun (nation, pays, croyances…).

– La globalisation accompagnée du développement et de la démocratisation des moyens de communication qui engendrent un chaos médiatique. Chaque individu devient potentiellement média (blog…). Comme le dit avec malice Dominique Wolton : « si tout le monde parle, alors qui écoute ? »

– La marchandisation de tout. Donc la marchandisation de sa personne. Moi, marque.
Selon Tom Peters, consultant américain « Les grandes compagnies comprennent l’importance des marques. Aujourd’hui, dans l’ère de l’individualisme, vous devez être votre propre marque. Voilà ce qu’il faut pour devenir le dirigeant de la MOI compagnie ».

– Conséquence, une hyperconcurrence des individus comme pour les produits sur les marchés commerciaux. Conséquence, le besoin incessant d’innover, la « tyrannie du nouveau » selon l’expression de Jacques Attali, et d’afficher des signes de sa différence, à l’instar des marques.

moi-zlatan-ibrahimovic-l-autobiographie-ecrite-avec-david-lagercrantz_69186_w250– « Parce que vous le valez bien ». La prise de conscience que chacun peut devenir quelqu’un. Cela explique sans doute la fascination pour des marques comme David Beckham ou Zlatan, apothéoses de la marque-personne assumée. Je zlatane, tu zlatanes, il zlatane, nous zlatanons…

 » A travers cette Ligne Couture, je souhaite prouver que rien n’est impossible à qui sait rêver », www.zahia.com.

La marque, a minima pour devenir l’idole de soi-même.

 

*anonyphobie : suggestion de nom pour la peur de l’anonymat
Tom Peters, the brand you, Reinventing work series, 1999
Dominique Wolton, Directeur de recherche au CNRS
Jacques Attali, économiste, romancier, penseur. Conférence ANAE.
Moi Zlatan Ibrahimovic, Lattés, 2013