Dakar : la marque et le territoire

Dans son roman goncourtisé en 2010, « La carte et le territoire », Michel Houellebecq raconte les tribulations d’un artiste plasticien qui connaît le succès en utilisant des cartes Michelin pour créer ses œuvres d’art.
Une révélation : « La carte est plus intéressante que le territoire ».
Selon Michel Houellebecq, son héros « consacra sa vie à la reproduction de représentations du monde, dans lesquelles cependant les gens ne devaient nullement vivre ».

En filigrane, donc, une question lancinante : la représentation du réel est-elle plus intéressante que le réel lui-même ?

Depuis quelques années les organisateurs de la course Paris-Dakar se sont affranchis de la carte. Jugé à l’époque trop dangereux, le territoire africain a été supplanté par un autre continent. Désormais, le Dakar se déroule en Amérique du Sud !
le-parcours-du-dakar-2014-23955-hdParis avait déjà disparu, dès lors que le nom de la course fût réduit à « Le Dakar ».
Le Dakar ne démarre plus à Paris et n’arrive plus à Dakar. Le parcours 2014 permet aux concurrents de traverser l’Argentine, la Bolivie et le Chili.
Le territoire a disparu, restent le nom et l’emblème du logotype, la silhouette d’un touareg. La Marque, plus intéressante que le territoire ?

Me vient à l’esprit le constat de Boris Maynadier* à propos des marques de villes : « Les villes sont en train de prendre de l’indépendance vis à vis de leur localisation géographique.
C’est là en partie ce que peut permettre une Marque pour une ville : ne pas se limiter à la géographie mais se connaître un univers de sens ». L’enseignant-chercheur illustre son analyse avec l’exemple du projet de construction à Dubaï d’un quartier dénommé « Lyon Dubaï city » dans lequel il y aurait un institut Paul Bocuse, un musée des tissus, un centre de formation de footballeurs, une université… Rendez-vous en 2016 ou en 2017.

Gérard Collomb explique à ce sujet qu’il s’agit d’ « importer une ville, son esprit, ses valeurs, son architecture, son style de vie ». Paradoxalement, les marques de villes génèrent une « déterritorialisation ».
La marque comme univers de sens apte à s’affranchir de son sujet initial.
Dans la marque Dakar il y a donc des dunes, des motos ou des 4×4 virevoltants, Gérard Holtz, des villages enfumés, des pipeuls accidentés, des souvenirs d’aventures dans une période où l’autre semblait loin, une course mythique… donc un univers sémiotique qui peut se capter, se transporter et se transposer à d’autres sujets.
Ce qui explique que Coca-Cola va marquer des bouteilles de soda comme des trousses ou des cahiers d’écoliers, Che Guevara des tee-shirts ou des tabourets design !
Une présence dans les mémoires, un univers de sens étoffé et fantasmé. Les ingrédients d’une marque forte.

Lorsque vous inscrivez le mot Touareg dans le moteur de recherche Google, le premier site qui apparaît sur la première page est celui consacré… au véhicule de Volkswagen.

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*Boris Maynadier, enseignant-chercheur, ISERAM

 

 

 

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