Un tintinophile orphelin

Comme un signe du ciel, les premiers flocons de l’hiver sont tombés et, avec un entêtement de jeune premier, ont durablement couvert la campagne.
Parmi toutes les nouvelles tombées du ciel, parmi les faits divers sordides et les invectives des va-t-en guerre, une annonce s’est glissée subrepticement, celle qui proclame la mort du yéti.
Des scientifiques ont fait parlé l’ADN de ses poils et autres restes supposés (1).
Aussi froid que les neiges éternelles, leur verdict est sans appel, ce que les tibétains ont pris pour un homme des neiges n’est qu’un ours.

Le tintinophile est orphelin.

L’image de la caravane qui s’étire sur l’horizon et abandonne le pauvre yéti, sauveur de Tchang, me revient à l’esprit. Abandonné hier, mort aujourd’hui.

Tintin au Tibet est un sommet. Le sommet de l’oeuvre d’Hergé, un sommet universel d’humanité.
Déprimé avant d’aborder la création de cet album, Rémi George a déclaré avoir rêvé, soudainement, de blancheur. Un rêve comme un appel auquel on ne peut se soustraire. Tel celui, au secours, de l’ami chinois qui invitera Tintin, en dépit du raisonnable, à se hisser sur le toit du monde.

La ligne claire s’est alors posée sur l’immensité immaculée de l’Himalaya dans laquelle personne ne mérite de se rendre, pas même les audacieux avions des hommes.

Seul un coeur pur comme celui de Tintin peut pénétrer dans le temple sans le profaner. Même Haddock, humain trop humain, laisse le héros entrer seul dans l’antre du migou (homme sauvage en tibétain).

Le lecteur découvre que dans la pureté l’abominable est logé.
Dans chaque homme il y a l’abominable. Mais cet abominable en nous peut se transformer et accomplir les gestes les plus nobles.

Insatiable anthropologue, Hergé illustre magnifiquement Lévi-Strauss : « le barbare, c’est celui qui ne reconnaît pas l’humanité de l’autre. »

(1) Les Inrocks