Debout les morts

La voix de Léo Ferré jaillit soudain, une pause entre deux pubs ?
Erreur funeste, c’est aussi une pub(1) !!! Reprends-toi Léo, qu’il m’en souvienne, tu étais anarchiste, poète… alors faire une pub pour des sardines !!! Non, l’homme est mort. Assurément, sa grande œuvre lui donne une vie après sa mort. Mais, comme dans les séries Z, certains morts de retour parmi les vivants errent comme des âmes en peine, frappés d’une malédiction qui les empêchent de trouver la paix éternelle. Cette malédiction est médiatique et mercantile. 

Marylin

Joe Dassin en vient à chanter avec Hélène Ségara(2). Un mort pour revivre.
Les ectoplasmes peroxydés de Maryline ou de Marlène Dietrich vantent 
les mérites d’un parfum aux côtés de Grace de Monaco(3)Au petit jeu de la résurrection, Bruce Lee s’est ainsi retrouvé à vanter les mérites d’une marque de Whisky(4), 40 ans après sa mort. L’acteur, selon le livre biographique écrit par son épouse ne buvait plus une goutte d’alcool pour ne pas sombrer dans une nouvelle expérience malheureuse. Debout les morts comme l’a écrit Fred Vargas(5)

Capture d’écran 2014-05-23 à 22.06.10Le Tintinophile se remémorera la prédiction qui initie l’aventure des 7 boules de cristal(6). La léthargie et d’insondables souffrances guettent les profanateurs !

Un petit test édifiant sur les nouveaux pouvoirs surnaturels : entrez le mot « Vinci » dans un moteur de recherche de type Google et vous obtenez en retour une liste, en première page et deuxième page, de liens uniquement dédiés au groupe international français. Sans doute un hommage du web au génie… de la Renaissance !

Le vampirisme sémiotique. Le sens aspiré comme le sang.
Dans l’ère du vide(7) dont on sait qu’il horrifie la nature, l’homo consumericus* est assoiffé de sens. Pour vendre, il vide de son sens notre histoire, nos histoires, nos symboles, nos souvenirs et  nos héros. Quitte à les déterrer. Le twilight -marketing !

 

 

(1) Publicité Connetable, chanson Léo Ferré, c’est extra (Barclay)
(2) Album Hélène Segara en duo avec Joe Dassin, Et si tu n’existais pas
(3) Publicité Dior
(4) Publicité whisky Johnny Walker / The man only i knew, Linda Lee
(5) Debout les morts, roman de Fred Vargas – J’ai lu
(6) Tintin, Les 7 boules de Cristal, Hergé – éditions Casterman
(7) Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal

 

Dakar : la marque et le territoire

Dans son roman goncourtisé en 2010, « La carte et le territoire », Michel Houellebecq raconte les tribulations d’un artiste plasticien qui connaît le succès en utilisant des cartes Michelin pour créer ses œuvres d’art.
Une révélation : « La carte est plus intéressante que le territoire ».
Selon Michel Houellebecq, son héros « consacra sa vie à la reproduction de représentations du monde, dans lesquelles cependant les gens ne devaient nullement vivre ».

En filigrane, donc, une question lancinante : la représentation du réel est-elle plus intéressante que le réel lui-même ?

Depuis quelques années les organisateurs de la course Paris-Dakar se sont affranchis de la carte. Jugé à l’époque trop dangereux, le territoire africain a été supplanté par un autre continent. Désormais, le Dakar se déroule en Amérique du Sud !
le-parcours-du-dakar-2014-23955-hdParis avait déjà disparu, dès lors que le nom de la course fût réduit à « Le Dakar ».
Le Dakar ne démarre plus à Paris et n’arrive plus à Dakar. Le parcours 2014 permet aux concurrents de traverser l’Argentine, la Bolivie et le Chili.
Le territoire a disparu, restent le nom et l’emblème du logotype, la silhouette d’un touareg. La Marque, plus intéressante que le territoire ?

Me vient à l’esprit le constat de Boris Maynadier* à propos des marques de villes : « Les villes sont en train de prendre de l’indépendance vis à vis de leur localisation géographique.
C’est là en partie ce que peut permettre une Marque pour une ville : ne pas se limiter à la géographie mais se connaître un univers de sens ». L’enseignant-chercheur illustre son analyse avec l’exemple du projet de construction à Dubaï d’un quartier dénommé « Lyon Dubaï city » dans lequel il y aurait un institut Paul Bocuse, un musée des tissus, un centre de formation de footballeurs, une université… Rendez-vous en 2016 ou en 2017.

Gérard Collomb explique à ce sujet qu’il s’agit d’ « importer une ville, son esprit, ses valeurs, son architecture, son style de vie ». Paradoxalement, les marques de villes génèrent une « déterritorialisation ».
La marque comme univers de sens apte à s’affranchir de son sujet initial.
Dans la marque Dakar il y a donc des dunes, des motos ou des 4×4 virevoltants, Gérard Holtz, des villages enfumés, des pipeuls accidentés, des souvenirs d’aventures dans une période où l’autre semblait loin, une course mythique… donc un univers sémiotique qui peut se capter, se transporter et se transposer à d’autres sujets.
Ce qui explique que Coca-Cola va marquer des bouteilles de soda comme des trousses ou des cahiers d’écoliers, Che Guevara des tee-shirts ou des tabourets design !
Une présence dans les mémoires, un univers de sens étoffé et fantasmé. Les ingrédients d’une marque forte.

Lorsque vous inscrivez le mot Touareg dans le moteur de recherche Google, le premier site qui apparaît sur la première page est celui consacré… au véhicule de Volkswagen.

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*Boris Maynadier, enseignant-chercheur, ISERAM

 

 

 

Les marques du pouvoir

L’histoire humaine prodigue un grand nombre d’exemples d’irrépressibles envies de marquer. Marquer son territoire, marquer son temps, marquer l’histoire et les esprits par des conquêtes (ou des massacres selon le côté duquel on se situe), des réformes, des édifices, des lois ou des actes insensés…

A ne pas louper, la maîtrise des codes qui cristallisent votre identité ! Un roi qui se voit soleil et crée un emblème dans lequel son auguste visage rayonne pour éclairer le monde, un empereur français qui se couvre des lauriers antiques pour s’approprier la marque des imperators romains…

Ingres,_Napoleon_on_his_Imperial_throneLors du sacre de Napoléon Bonaparte, le pape accompagne sa bénédiction d’un « vivat imperator in aeternum ». L’éternité dont les clés semblent être promises à celui qui possède les signes immuables : la couronne de lauriers, l’aigle, le sceptre, le manteau rouge, les abeilles carolingiennes… Napoléon reprend, tous azimuts, les codes et les rituels d’un pouvoir ancestral mais les modifie pour mieux se les approprier. Ainsi, il inaugure un geste que les artistes officiels célèbreront, « l’auto-sacrement ».
Il se coiffe de la couronne puis coiffe Joséphine. Il est désormais celui qui marque.

Un savant mélange de tradition et d’innovation. On dirait aujourd’hui dans un brief marketing, il réinvente.
Le musée du Louvre, baptisé musée Napoléon, accueille les œuvres qui affluent d’Europe ou d’Orient.

Le pouvoir en place perpétue une tradition de prendre aux conquis des œuvres emblématiques. L’art est alors une marque de pouvoir.

En s’accaparant ces marques Napoléon reprend une histoire à son compte (fameux storytelling), du sens et surtout une place dans la mémoire du plus grand nombre.
La voilà sa grande bataille, être dans les mémoires pour l’éternité !

Trivialement, lorsque le PSG recrute David Beckham il procède de la même logique. Il achète une marque donc de l’espace dans les mémoires du plus grand nombre.

Beckham, égérie de la marque Emporio de Armani. IMPERATOR !

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Le capital mémoire

Dans une interview récente*, Jean-Noël Kapferer réagissait au postulat de son interlocuteur : « tout est marque aujourd’hui ».
Selon cet historique expert en marques, ces dernières ont endossé un rôle nouveau, celui d’agrégateur. Agrégateur de fantasmes, de promesses et de gens.
Il constate que la disparition de la philosophie et de la théologie comme repères a laissé place aux marques.
Les marques se sont alors engagées dans des combats plus larges que la « promesse produit », des combats ou des « croisades » pour reprendre le vocable du journaliste. On notera à nouveau l’emploi de termes associés au religieux.

A priori, de nombreux exemples illustrent le postulat de cette « extension du domaine de la marque »*.
A priori historiquement cantonnée aux produits de consommation courante, telle la lessive ou le café, la marque aurait étendu son emprise à d’autres secteurs ou activités, jusque là épargnés.
6a00d83451db4269e201157025a73f970b-800wiDésormais, on parle de marques pour les territoires (pays, villes…) les musées ou les personnes (David Beckham pour citer un exemple revendiqué comme tel, assumé et décomplexé).

Si j’adhère à l’analyse de l’extension du rôle (et non du domaine) des marques, je crois nécessaire d’apporter une précision fondamentale.
Paris était une marque bien avant d’être reconnue comme telle et classée parmi les marques-villes du monde, première d’ailleurs, par l’institut Anholt-GFK.
De même pour Le Louvre  qui était une marque avant qu’on ne lui attribue cette caractéristique.
Le soi-disant phénomène du « tout marque » révèle donc plutôt une prise de conscience de ce qu’est réellement une marque, c’est-à-dire, avant tout, une empreinte dans la mémoire (mental box selon George Lewi).

Avant d’être une marque de commerce, la marque est une marque dans la mémoire.
« Tout » peut marquer : un homme (Obama), une femme (Paris Hilton), un fruit (Pink Lady ou Garriguette), un territoire (Deauville), une pâte à tartiner (Nutella ou Pastador) etc…
Cette impression que tout devient marque a été renforcée par la marchandisation du monde et donc la prise de conscience que les marques, quelles qu’elles soient, ont un potentiel commercial (exemple les Musées).
Tate est une marque de musées, déclinée en différentes « marques-filles » : Modern, Britain, Liverpool… c’est un constat qui ne signifie en rien que le musée est conçu ou géré comme un produit de grande consommation !

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Les territoires ont aussi découvert qu’ils disposaient d’un capital de marque à fort potentiel économique.
Potentiel primordial dans un monde hyperconcurrencé dans lequel le trait identitaire, donc la différence, est devenu l’objet de convoitises.

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L’hyperconcurrence et son chaos médiatique caractérisé par un même mouvement hyerbolique, ont engendré un besoin, vital, d’être identifié, si possible durablement. Donc d’être dans la mémoire du plus grand nombre.

Objet de convoitises, plus précieux que l’or, le safran ou l’uranium : LA MEMOIRE !

 

*Interview Darketing, ISEG.
*Tableau de Salvador Dali : La désintégration de la persistance de la mémoire
*Le titre détourne sciemment celui d’un roman de Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, dans lequel l’auteur identifie une expression du capitalisme triomphant dans les relations sexuelles contemporaines des humains. Je vois donc dans le titre de cet article plus qu’un jeu de mots. Nous y reviendrons.

Brûler le temple

Erostrate a brulé le temple d’Artémis à Ephèse (Turquie actuelle) en 356 avant Jésus. Ce temple était considéré comme l’une des merveilles du monde.

Arrêté et interrogé (la torture l’aurait rendu loquace) Erostrate expliqua son geste par l’envie de… devenir célèbre !!!

Drôle d’idée que de vouloir devenir célèbre.

La justice voulut alors lui infliger une double sanction : lui ôter la vie et, pire, supprimer toute trace (marque !) de son existence. Pire que la mort, l’oubli.

Les romains nommaient cette peine  « damnatio memoriae », damnation de la mémoire. Il s’agissait alors d’effacer toute trace de vie du condamné (suppression du nom des registres, interdiction de citer la personne comme pour Voldermort dans Harry Potter…). Enfer et damnation !

Erostrate veut devenir célèbre, laisser une trace dans l’histoire selon la formule communément consacrée. La trace ou la marque de son existence. La marque est alors un moyen de survivre à sa propre mort physique.

Evidemment, la sanction des grecs ne fut pas couronnée de succès puisque je vous nomme le personnage dans cet article. Peut-être l’interdiction de mentionner son nom fut elle à l’origine d’ailleurs de sa popularisation. Un acte insensé et spectaculaire suivi d’une interdiction, voilà un terrain propice au succès médiatique.

Dans le recueil de nouvelles « Le mur », Jean-Paul Sartre évoque cette anecdote :

« — Je le connais votre type, me dit-il. Il s’appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s’appelait l’architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu’on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d’Érostrate ? Vous voyez qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul. »

Bienvenue dans le monde des marques et de la communication.