Un tintinophile orphelin

Comme un signe du ciel, les premiers flocons de l’hiver sont tombés et, avec un entêtement de jeune premier, ont durablement couvert la campagne.
Parmi toutes les nouvelles tombées du ciel, parmi les faits divers sordides et les invectives des va-t-en guerre, une annonce s’est glissée subrepticement, celle qui proclame la mort du yéti.
Des scientifiques ont fait parlé l’ADN de ses poils et autres restes supposés (1).
Aussi froid que les neiges éternelles, leur verdict est sans appel, ce que les tibétains ont pris pour un homme des neiges n’est qu’un ours.

Le tintinophile est orphelin.

L’image de la caravane qui s’étire sur l’horizon et abandonne le pauvre yéti, sauveur de Tchang, me revient à l’esprit. Abandonné hier, mort aujourd’hui.

Tintin au Tibet est un sommet. Le sommet de l’oeuvre d’Hergé, un sommet universel d’humanité.
Déprimé avant d’aborder la création de cet album, Rémi George a déclaré avoir rêvé, soudainement, de blancheur. Un rêve comme un appel auquel on ne peut se soustraire. Tel celui, au secours, de l’ami chinois qui invitera Tintin, en dépit du raisonnable, à se hisser sur le toit du monde.

La ligne claire s’est alors posée sur l’immensité immaculée de l’Himalaya dans laquelle personne ne mérite de se rendre, pas même les audacieux avions des hommes.

Seul un coeur pur comme celui de Tintin peut pénétrer dans le temple sans le profaner. Même Haddock, humain trop humain, laisse le héros entrer seul dans l’antre du migou (homme sauvage en tibétain).

Le lecteur découvre que dans la pureté l’abominable est logé.
Dans chaque homme il y a l’abominable. Mais cet abominable en nous peut se transformer et accomplir les gestes les plus nobles.

Insatiable anthropologue, Hergé illustre magnifiquement Lévi-Strauss : « le barbare, c’est celui qui ne reconnaît pas l’humanité de l’autre. »

(1) Les Inrocks

Certains membres du parti de La France insoumise ont dénoncé le drapeau de l’Europe en raison de ses présumées allusions symboliques à la religion chrétienne.

Cette dénonciation reposerait sur les déclarations de son créateur, fonctionnaire européen, qui aurait confessé, peu avant son décès, avoir été inspiré par une représentation de la vierge entourée d’étoiles.(1)

Voilà Jean-Luc Mélenchon métamorphosé en Robert Langdon, héros du Da Vinci code en quête de révélations sur le sens caché des signes qui nous entourent et, forcément des complots auxquels ils sont associés. Me vient à l’esprit la pertinente phrase de @Marie-Claude Sicard, professeur à la Sorbonne, « le sens n’est pas dans l’objet mais dans la tête ». Qui de nos jours regarde le drapeau européen en pensant à la vierge ? Quand bien même ce serait la source d’inspiration, le sens ne se révèle que dans la relation avec l’objet, donc par le prisme de la culture et des références symboliques personnelles de celui qui porte le regard. Ainsi, le sens des signes peut changer, ce qui explique qu’une croix gammée figure dans le pavement de la Cathédrale d’Amiens. Un hommage au IIIème Reich ? Un vestige du temps où la cathédrale aurait été utilisée comme Kommandantur ? Que nenni, ce signe, parfois appelé Svastika, est présent depuis le moyen-âge, période d’édification de l’illustre monument chrétien inscrit par l’UNESCO… au patrimoine mondial !

Jean l’apôtre et Luc l’évangéliste. Et si ce choix de prénom pour bébé Mélenchon, il y a 66 ans, avait été motivé par l’envie de commémorer ces premiers insoumis que furent les apôtres ou les évangélistes !

 

 

(1)Nouvel Obs, Sébastien Billard.

Design-moi un mouton

La Métropole Européenne de Lille a été choisie pour être, en 2020, la capitale mondiale du design.

Félicitations aux équipes de Lille design et de la MEL pour leur travail et, plus largement, à tous les acteurs français du design qui ont contribué à un succès qui ne doit pas être perçu comme un aboutissement mais bien comme un second départ. Il n’y a pas si longtemps, militants du « design thinking » nous nous sentions esseulés dans le monde économique ou politique.

Le design, autrefois associé à du mobilier très cher vendu à une élite sociale, est désormais un argument de vente ultime pour tous les objets du quotidien. Plus une automobile vendue sans proposer un design et une expérience de conduite inégalables, plus une cuisine de style épuré qui ne prétende être design. De ce fait, plus personne n’est publicitaire, tout le monde est designer. Cela semble beaucoup plus respectable. Tant pis, dans le chaos communicationnel contemporain, il faut s’habituer à ce que les mots soient rattrapés par leur succès. Saturne dévore son fils.

Pourtant, derrière cette banalisation apparente, se cache une réelle révolution, un changement de paradigme pour reprendre un mot du moment lui aussi galvaudé : la révolution de l’usage et, derrière elle encore, la « seconde révolution individualiste » (Gilles Lipovetsky).

« Parce qu’il le vaut bien », l’individu contemporain aspire à être entouré du beau, du pratique, du simple et du sensationnel pour mieux profiter de sa vie. L’ubérisation en est un exemple probant : réduction du temps d’attente pour trouver un taxi, suivi en ligne de la course, facilité de paiement, soin particulier à l’esthétique… au final un service qui part de l’usage… et pas l’inverse. C’est une révolution puisque les pôles sont inversés. Quitte à bousculer l’ordre établi. « People centered design ».

Comme souvent, la révolution culturelle est plus difficile à opérer que la révolution technique ou technologique : dans ce monde inversé, il nous faut penser usager avant de penser consommateur (ou pire, à la cible cf Vous n’êtes pas une cible, revendication de l’agence Mixte), donc penser à l’autre avant de penser à soi. Une révolution, assurément.

Le design est un humanisme ? A nous de choisir.

 

Fin de crise ? J’espère que non !

« Reprise économique mondiale », « près de 75% des pays du monde se redressent »(1)

Fin de crise ?
On notera que le premier réflexe pour indiquer que la crise est révolue est de chercher un indicateur du monde ancien : le taux de croissance.
Camé à la croissance, le monde croit revivre de sa nouvelle dose, pourtant, c’est peut-être elle qui l’achèvera.

On reprend sa tâche comme si de rien n’était ?
Dans tous les cas, si le révélateur semble financier, la crise ne saurait se résumer à la seule croissance économique.
Le tsunami est une conséquence et non la cause d’un mouvement profond de tectonique des plaques, de l’affrontement titanesque de deux forces qui s’affrontent.

La révolution de l’usage et son corollaire le design thinking, le « co » devenu préfixe incontournable (co-voiturage, co-working…) de la dynamique collaborative, la désinstitutionnalisation… sous des visages différents, nous devons la reconnaître, c’est la démocratie qui, de nouveau, frappe à notre porte !
L’entêtée démocratie a saisi l’opportunité d’une innovation technologique pour se répandre. Intrusive comme une eau qui ruisselle, elle bouscule nos confortables conservatismes et nos petits arrangements avec les subtiles dictatures du quotidien.

A l’instar des pays totalitaires bousculés par des révolutions printanières qui ruinent le tourisme, la démocratie est très vite perçue comme un empêcheur de prospérer en rond. Alors les plaques se frottent.

Evidemment, cette pulsion démocratique s’exprime parfois maladroitement à coup de selfies impudiques, de sur-communication, de populisme, d’usurpation d’expertises ou d’égalitarisme trompeur. Mais, tous les colmatages du monde ne parviendront pas à endiguer la vague immense.

ancien:statique
Le sentiment partagé que l’exercice démocratique actuel n’est pas satisfaisant invite la société à trouver de nouvelles voies pour s’imposer.
La vague démocratique s’accompagne de nouveaux droits fondamentaux : s’exprimer soi-même, directement, et pas uniquement au travers des voix institutionnelles tels que les syndicats, les partis politiques ou les médias traditionnels; participer aux décisions, ne plus avoir de supérieurs hiérarchiques mais uniquement des collègues; le droit de se produire sans producteur, d’éditer sans éditeur; le droit à un apprentissage qui s’adapte à ses propres caractéristiques et pas l’inverse… « L’individualisme est un humanisme » comme le dit François de Singly.

A l’heure où chacun s’engage dans la voie de l’incontournable transformation, il est bien de rappeler qu’il ne s’agit pas uniquement de « passer au digital » mais de faire entrer en sa maison une invitée que l’on croyait, à tort, déjà installée.

 

 

(1) Christine Lagarde, université de Harvard, octobre 17.

9-3, la marque du territoire

– T’es de où ?
– De Bobigny, en Seine-Saint-Denis
– Ah oui, le 9-3 !!!

Difficile aujourd’hui pour un résident du département 93 d’échapper à cette remarque.
Au fil des dernières années, l’appellation 9-3, « neuf-trois », s’est imposée comme un nom alternatif à celui du département.
« Charles X bientôt de retour dans le 9-3 ? »  (Le Figaro, en 2016, au sujet du rapatriement des cendres du défunt roi).
En fait, le nom 9-3 s’est imposé comme… une marque.
Cet article n’a pas vocation à en analyser le contenu ni la genèse.
En revanche, il est l’occasion de rappeler deux points fondamentaux, très souvent éludés dans les réflexions sur le « place branding »  :
– Il ne suffit pas de créer un jeu de mot, (si possible en anglais, ambitions internationales obligent !), un logo et de se proclamer marque pour en être une.
Commentaire du Maréchal La Palice : Pour être une marque, il faut être… marquant !
Donc, pour un territoire ou toute autre entité, disposer d’aspérités identitaires, valorisantes ou pas.
– Les marques de territoires ne sont pas créées uniquement par des services de communication ou de marketing. Les marques existaient avant le marketing.
9-3 démontre qu’une initiative populaire peut créer une marque durable et partagée.

9-3 c’est la marque de territoire du peuple ! Vox populi…

A noter : Google, qui apprécie de jouer avec les mots, nous propose à partir de la recherche « marque 9-3 » des articles liés au département 93, évidemment, et quelques uns à… la voie 9 3/4 qui permet à Harry Potter d’échapper à son quotidien déprimant chez les simples « moldus ».

Bien vu Google.